Le raisonnement clinique a “pour premier principe la connaissance clinique du patient, c’est-à-dire l’observation au plus proche du patient, qui a pour origine le mot « klinikos », celui qui observe, au lit des malades, les manifestations de la maladie. Il s’agit du processus intellectuel qui a pour objectif de mettre des activités mentales complexes et compliquées pour arriver à une conclusion appelée jugement clinique. C’est aussi mener des opérations mentales successives telles que la perception, le questionnement, l’analogie, la déduction, l’induction pour aboutir à une conclusion.”1 Le terme “raisonnement” est défini « à la fois comme un processus intellectuel et comme le résultat d’un processus ; la personne qui raisonne effectue une série d’inférences mais n’exprime que le produit de son raisonnement. »2

La profession d’infirmière est définie par sa capacité d’observation et d’écoute, mais aussi d’évaluation de situations cliniques, reconnues législativement dans le Code de la santé publique, dans le décret n°2004-802 du 29 juillet 2004. En effet, selon l’article R.4311-1, « L’exercice de la profession d’infirmier ou d’infirmière comporte l’analyse, l’organisation, la réalisation de soins infirmiers et leur évaluation, la contribution au recueil de données cliniques et épidémiologiques et la participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé. »3 

Mais, pour parvenir à une évaluation clinique, l’infirmier(e) se base sur son raisonnement clinique, considéré comme la colonne vertébrale de la réflexivité du soignant. Pilier fondamental des professionnels de santé, le raisonnement clinique est au cœur du métier d’infirmier(e) et dans son décret de compétences pratiques et d’activités. À savoir, la compétence n°1, intitulée « Évaluer une situation clinique et établir un diagnostic dans le domaine infirmier », en relation directe avec les autres compétences. Cette opération mentale permet à l’infirmier(e) de prendre des décisions et de mettre en place des actions adaptées aux besoins du patient. Cela permet de “donner du sens aux actions et soins qu’on prodigue au patient”. 

Dans cet article, nous allons explorer le concept du raisonnement clinique infirmier, une compétence fondamentale qui permet aux infirmier(e)s de prendre des décisions éclairées et de prodiguer des soins de qualité.

Infographie - guide infirmier raisonnement clinique

Le raisonnement clinique : qu’est-ce que c’est ?

Durant sa vie professionnelle, avant toute prise de décision et mise en place d’actions et de soins, l’infirmier(e) doit effectuer une évaluation dite clinique auprès de l’ensemble des patients du service. Une évaluation clinique correspond à un « recueil de données auprès du patient et un examen structuré de l’état physique et/ou mental du patient. Elle permet de dépister des écarts à la norme » 4. Il/elle examine chaque situation clinique de façon objective en mettant en lien les informations recueillies auprès du patient et/ou de sa famille afin de les confronter à ses références théoriques, pour contribuer à la mise en évidence des problèmes de santé du patient. Dès le début de la formation à l’IFSI, l’étudiant(e) doit intégrer sa réflexivité clinique dans un raisonnement clinique partagé en collaborant avec les autres professionnels de santé et le patient partenaire. Il est important de ne pas répéter les mêmes questions au patient. Pour établir une relation de confiance, il faut recueillir les informations disponibles dans le DPI (dossier patient informatisé). Ces données permettent d’élaborer un raisonnement clinique approprié.

Pour parvenir à une évaluation clinique, l’infirmier(e) se base sur son raisonnement clinique. Dans le domaine des sciences infirmières, le raisonnement clinique est un concept qui ne possède pas de définition claire et consensuelle. En effet, de nombreux auteurs/autrices ont tenté de développer ce concept au cours du temps. Parmi ces auteur(e)s, Thérèse Psiuk, directrice des soins et experte à l’Agence nationale d’appui à la performance, définit le raisonnement clinique comme un « processus intellectuel hypothético-déductif qui utilise les données provenant de l’observation du patient pour arriver à une décision de soins”5. Et selon Fonteyn et Ritter, le raisonnement clinique est « l’utilisation de la cognition et de stratégies cognitives pour analyser et interpréter des données de façon systématique »5

Face à chaque situation de soins quotidiens, l’infirmier(e) effectue une analyse en s’appuyant sur ses connaissances théoriques, l’examen clinique et une collecte complète de données. Cette analyse, qui permet d’identifier les problèmes de santé réels et/ou potentiels du patient, amène le professionnel de santé à passer de la théorie à la pratique, en adaptant ses actions et ses soins pour prendre en soins le patient de la manière la plus appropriée et personnalisée possible dans le cadre du projet de soins.

Le raisonnement clinique comprend une série de processus mentaux, qui comprennent l’observation et le questionnement, pour émettre des hypothèses (inductives ou déductives), en s’appuyant sur l’intuition et l’anticipation. Cela nécessite de faire preuve de pensée critique et ainsi, le/la soignant(e) développe son jugement clinique. Autrement dit, c’est la méthode par laquelle l’infirmier(e) recueille, interprète et utilise les informations pour planifier et mettre en œuvre des soins pertinents. Il existe plusieurs modèles de raisonnement clinique, mais nous allons nous concentrer sur le modèle hypothético-déductif qui « vise une explicitation et une compréhension des faits qui dépend de ce que nous formulons, a priori, comme questions au préalable »6. Ce modèle, qui est largement utilisé dans le domaine médical et infirmier, commence par la formulation d’une ou plusieurs hypothèses basées sur les informations initiales recueillies auprès du patient et des indices observés ou entendus. Une fois ces hypothèses établies, l’infirmier(e) procède à des observations, des tests ou des évaluations supplémentaires pour confirmer ou infirmer ces hypothèses. 

Pour établir un raisonnement clinique pertinent, l’infirmier(e) doit maîtriser les connaissances et savoirs nécessaires pour la situation donnée, et doit se former régulièrement grâce à la formation continue et à la pratique réflexive.

Les 6 piliers fondamentaux du raisonnement clinique 

L’objectif principal de l’infirmier(e) est de prendre en soins un groupe de patients dans sa globalité en respectant l’individualité de chaque soigné, en tenant compte de sa pudeur, sa dignité, son intimité, son autonomie, de sa dépendance et de ses choix propres, dans une dynamique de travail collaboratif au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Avant la prise de décision et la mise en place de soins et d’actions, l’infirmier(e) doit s’appuyer sur ces piliers qui lui permettent de structurer son raisonnement, de justifier ses choix et de rendre compte de sa pratique. Les piliers fondamentaux du raisonnement clinique (d’après Loïc Martin)7 sont les éléments indispensables qui permettent à l’infirmier(e) de passer de la théorie à la pratique, pour une prise en soins adaptée et personnalisée du patient. 

Infographie - Les 6 piliers fondamentaux du raisonnement clinique infirmier (L. MARTIN)

1) Les connaissances théoriques

Les connaissances théoriques, tant sur le plan anatomique, physiologique, psychosocial, pathologique, que sur les modèles conceptuels et les théories de soins, sont la base du raisonnement clinique, car sans elles il est impossible de différencier le sain du pathologique. C’est le préalable. Connaître la personne saine d’un point de vue anatomo-physiologique et psychosocial permet de percevoir les différences avec les normes. Grâce aux connaissances théoriques, notamment les différents processus physiopathologiques étudié en institution, l’infirmier(e) peut identifier les problématiques de santé et/ou les risques potentiels avérés, ce qui lui permettra de prendre une décision et d’adapter les soins.

2) L’observation

Bien que les connaissances théoriques soient indispensables, elles ne serviront à rien si l’infirmier(e) n’a pas une capacité d’observation de la situation clinique et des éléments significatifs. L’infirmier(e) doit identifier des données cliniques (physiques ou mentales) et visualiser le patient et son environnement dans leur globalité, pour effectuer une analyse pertinente et mesurer la situation de soins et la singularité du patient. Pour cela, l’infirmier(e) utilise les différents sens de l’être humain : 

  • L’ouïe : Que dit le patient ? Comment le dit-il ? Ces questions peuvent aider à comprendre l’état émotionnel et physique du patient.
  • La vue : Qu’est-ce que je vois ? Cette question peut aider à identifier les signes visibles de l’état de santé du patient.
  • Le toucher : Il peut fournir des informations précieuses sur l’état de la peau du patient et sa température corporelle. Une peau sèche ou moite, chaude ou froide, peut indiquer divers problèmes de santé.
  • L’odorat : Bien que souvent négligé, l’odorat peut également fournir des indices importants sur l’état de santé du patient. Qu’est-ce que je sens ? Quelles sont les odeurs du patient ? Ces questions peuvent aider à détecter des problèmes de santé spécifiques.

Il est essentiel de considérer son environnement dans sa globalité avec une approche qui comprend plusieurs niveaux d’observation :

  • L’observation environnementale de l’unité ou du service de soins, nécessaire pour la compréhension des spécificités du service et des soins prodigués pour orienter le raisonnement clinique.
  • L’observation du patient dans sa globalité, y compris son état de conscience, sa cohérence entre ce qu’il verbalise et ce qu’il manifeste, son degré d’autonomie, ses prothèses, sa mobilité, et l’état de ses pansements… Le patient dans sa globalité, au plus proche de lui (Est-il conscient ? Est-il cohérent ? Son degré d’autonomie ? A-t-il des prothèses dentaires/auditives ? Comment se déplace-t-il (canne, déambulateur) ? S’il a un pansement, est-il propre ? Odeurs : elles sont aussi à « observer », car parfois elles donnent des informations sur l’état de santé du patient (exemple : haleine, qui indique des maladies)).
  • L’observation de l’environnement technique, c’est-à-dire le matériel à proximité du patient, comme les perfusions, les sondes, et autres dispositifs médicaux. Le patient est-il perfusé en SC ou en IV ? À quel bras ? Si oui, depuis quand et est-ce que le cathéter est toujours fonctionnel ? Est-il droitier ou gaucher ? Le patient est-il sondé ? Si oui, depuis quand ? La sonde est-elle fonctionnelle ? La couleur des urines, crachats, écoulements divers, voire liquides dans stomies digestives…).
  • L’observation de l’environnement architectural, en milieu clinique et hospitalier comprend la disposition de la chambre et la disponibilité des objets nécessaires à portée de main du patient : La chambre est-elle rangée ? Est-ce que le patient a tout le nécessaire à portée de main (adaptable, téléphone, carafe d’eau, verre, sonnette, etc. ?). Dans un contexte de soins à domicile, l’observation du domicile du patient, y compris l’endroit où il vit et où sa famille réside, peut fournir des informations utiles dans la prise en soins. En effet, pour les infirmiers libéraux, l’évaluation de l’environnement architectural du domicile est essentielle, y compris la nature du logement, l’accessibilité, les membres présents, la présence d’animaux, l’accès aux services de la commune et à l’eau potable. De plus, il est important de noter les éléments qui pourraient entraîner des accidents, comme la présence de tapis ou d’animaux. 
  • L’observation de l’environnement social du patient, qui intègre les éléments sociaux, culturels, philosophiques et spirituels. Quels sont les signes qui permettent d’identifier l’état d’esprit de la personne observée (présence d’icônes, de bijoux religieux, style vestimentaire qui donne des pistes aussi sur la philosophie de vie ou les moyens financiers). Il est important de prendre en compte le contexte social du patient, y compris celui de sa famille, ses proches, la personne de confiance, et les personnes à prévenir. L’environnement familial sera plus ou moins important en fonction de l’âge du patient, davantage pour les enfants en pédiatrie, les personnes majeures en situation d’incapacité et les personnes âgées en institution. 
Infographie - Les différents niveaux d’observation de l’infirmier(e) (L. MARTIN)

Cette méthode d’observation permet une prise en soins du patient individualisée, elle prend en compte tous les aspects de son environnement. Elle est particulièrement pertinente pour les enfants en pédiatrie et les personnes âgées en institution, où l’environnement familial joue un rôle plus important. Pour une observation de qualité, il faut que le professionnel de santé possède une disponibilité intellectuelle, physique et émotionnelle : autrement dit, une écoute active et complète du patient.

3) L’examen clinique

L’infirmier(e) procède à un examen clinique du patient, en prenant en compte son histoire de santé (données subjectives ou symptômes) et en s’appuyant sur l’examen dit physique (données objectives ou signes cliniques). L’objectif est d’évaluer son état de santé en recueillant les diverses données. Ces données permettent de déterminer les besoins de santé du patient, d’assurer une surveillance clinique adaptée, d’évaluer les soins administrés tout au long du processus thérapeutique. Ces données sont partagées avec l’équipe pluriprofessionnelle. L’examen clinique se décompose en deux parties bien distinctes, qui sont en interaction l’une avec l’autre : 

  • L’entretien clinique : l’infirmier(e) questionne le patient et/ou sa famille et son entourage sur son histoire de santé, à savoir les données subjectives (problèmes de santé actuels, antécédents personnels et familiaux pertinents, environnement social et physique, traitements actuels, etc.). L’utilisation des techniques de communication empathique et active facilite la relation de confiance et encourage le patient à partager des informations vitales pour son diagnostic et sa prise en soins.
  • L’entretien physique : il fait suite à l’entretien clinique et permet d’objectiver et de compléter les données recueillies par l’infirmier(e). Cet examen est réévalué quotidiennement en fonction de l’évolution de l’état de santé du patient. En outre, il apporte de nouvelles informations au cours de la prise en soins, qui complètent le diagnostic médical et/ou paramédical. Il est structuré autour des principaux systèmes corporels, et permet ainsi une approche méthodique et exhaustive. Les techniques d’inspection, de palpation, de percussion et d’auscultation sont utilisées par le médecin pour évaluer les différentes fonctions corporelles. La sensibilisation à la diversité culturelle et aux spécificités du patient est primordiale pour personnaliser l’approche et le respecter.

4) Les compétences relationnelles

L’observation seule peut ne pas révéler les risques ou problèmes de santé réels ou potentiels d’un patient. L’écoute active et attentive, associée à des compétences relationnelles appropriées, est un élément clé du raisonnement clinique. L’accueil et l’entretien initial sont essentiels pour établir une relation de confiance entre le soignant et le patient. Cette relation professionnelle peut impliquer d’autres acteurs, notamment dans le cas de patients très jeunes ou âgés. L’objectif est de créer une alliance thérapeutique pour la santé et le bien-être du patient. L’infirmier(e) adopte une posture soignante, basée sur l’empathie, l’écoute, la bienveillance et une distance professionnelle appropriée. L’utilisation de divers types de communication, y compris verbale, subverbale (paraverbale) et non verbale, ainsi que l’intégration de techniques comme le questionnement ouvert, la reformulation, l’écoute active et la validation des sentiments du patient, renforce la communication et favorise une meilleure compréhension des besoins et préoccupations du patient. 

Cette relation de confiance facilite l’expression du patient. En effet, sa verbalisation apporte des éléments cliniques importants, sur le plan physique et sur le plan psychologique. Ces éléments permettent d’adapter la prise en soins du patient et le diagnostic médical. Par exemple, le patient peut te dire : « J’ai une douleur importante au cœur, comme si on m’avait donné un coup de poignard à la poitrine. » Il faut donner la possibilité au patient de s’exprimer afin qu’il se sente libre de verbaliser (vous pouvez lire ou écouter les cours de l’unité d’enseignement 4.2 de Réussis ton IFSI si vous souhaitez approfondir ces notions).

5) Le recueil de données

Le recueil de données consiste à collecter le plus d’informations cliniques possible afin de mieux connaître le patient sur le plan biologique, psychologique, social et culturel, et d’appréhender sa singularité dans un contexte de soins. Cela permet également de concevoir et d’adapter un projet de soins au quotidien pour le patient, en collaboration avec l’équipe pluriprofessionnelle, ainsi qu’une prise en soins infirmière adaptée et individualisée. En outre, cela fournit un maximum de renseignements au médecin pour orienter son diagnostic médical. Pour une compréhension plus approfondie et pour obtenir toutes les informations nécessaires sur le processus de recueil de données, nous vous invitons à consulter notre article associé intitulé guide infirmier : le recueil de données.

6) La structuration des données

Les infirmier(e)s s’appuient sur des méthodes pour structurer les données. Les trier, les catégoriser et les hiérarchiser leur permet de les compiler, avec des modèles conceptuels, afin d’avoir une photographie globale et la plus complète possible du patient. Trois modèles connus dans le domaine infirmier sont proposés aux étudiants de première année dans les instituts de formation en soins infirmiers : le modèle des 14 besoins de Virginia Henderson, le modèle trifocal d’Arlette Marchal et de Thérèse Psiuk et l’outil analytique et pédagogique nommé “Louis et ses 14 catégories”. Ces modèles peuvent être utilisés de manière individuelle ou complémentaire. Ce tri des données permet de confirmer ou d’infirmer les hypothèses préétablies afin d’aboutir à un diagnostic infirmier : il s’agit de la problématisation, à savoir l’identification, la formulation et la rédaction argumentée d’une problématique de santé (réelle ou potentielle). Nous vous invitons à consulter notre article intitulé “Guide infirmier : élaboration et liste des diagnostics infirmiers”.

Le raisonnement clinique dans la pratique infirmière 

Le concept du raisonnement clinique joue un rôle essentiel dans la pratique infirmière. La recherche de données permet aux soignant(e)s de discerner les éléments clés dans les signes cliniques et les symptômes présentés par le patient. Cela inclut également une réflexion éthique, au sein de l’équipe pluridisciplinaire, sur les décisions à prendre, en tenant compte des valeurs et des souhaits du patient, afin de garantir des soins respectueux et personnalisés. C’est à ce moment que le processus de soins est déclenché.

Le raisonnement clinique intervient dans l’ensemble du processus de la démarche clinique : 

  • Le recueil de données : consiste à collecter le plus d’informations cliniques possible afin de mieux connaître le patient sur le plan biologique, psychologique, social et culturel, et d’appréhender sa singularité dans un contexte de soins. Cela permet également de concevoir et d’adapter un projet de soins au quotidien pour le patient, en collaboration avec l’équipe pluriprofessionnelle, ainsi qu’une prise en soins infirmière adaptée et individualisée.
  • L’analyse des données : consiste à évaluer la pertinence des informations recueillies pour formuler des hypothèses sur les problèmes de santé potentiels ou existants. Cela permet de confronter les données cliniques avec les connaissances professionnelles pour identifier les problèmes de santé  Il s’agit d’une étape clé où l’infirmier(e) confronte les données cliniques recueillies sur le patient avec ses connaissances professionnelles, afin d’identifier les problèmes de santé réels et/ou potentiels de la personne soignée. Les hypothèses formulées sont ensuite classées en fonction de leur relation avec la pathologie du patient, les traitements prescrits ou les réactions humaines du patient. Attention au terme de “réactions humaines” qui regroupe en fait non seulement les réactions physiques et psychologiques de la personne, mais également toutes les réactions possibles aux traitements instaurés et aux conditions de soins. L’adoption d’une approche multidimensionnelle dans l’analyse des données, d’une démarche critique et la remise en question constante des hypothèses formulées permettent d’évaluer le patient dans sa globalité. Un(e) infirmier(e) doit s’appuyer sur une base solide de connaissances pour trier et classer efficacement les informations. Le modèle trifocal est couramment utilisé pour cela.
  • La validation ou l’invalidation des hypothèses : l’infirmier(e) vérifie la validité de ces hypothèses, en recueillant des données supplémentaires. 
  • L’évaluation et les réajustements : cette étape finale permet d’évaluer l’efficacité des soins prodigués et, si nécessaire, d’ajuster le plan de soins pour garantir les meilleurs soins possible.

Il est important de noter que l’aboutissement du raisonnement clinique ne se limite pas à l’identification des problèmes. Il implique également la détermination des priorités, la planification des interventions et l’évaluation continue des résultats. Cela permet d’adapter et de réadapter les soins en fonction de l’évolution de l’état de santé du patient et de répondre de manière plus efficace à ses besoins. Le raisonnement clinique est donc essentiel pour une prise en soins optimale du patient.

En outre, la collaboration et la cohésion pluri-professionnelle sont essentielles pour le raisonnement clinique de l’infirmier(e). En effet, un raisonnement clinique partagé en équipe permet au professionnel de santé de nourrir sa réflexivité face à diverses situations cliniques rencontrées au cours de sa pratique. Cela peut donc avoir un impact direct sur la prise en soins du patient durant son hospitalisation.

Le modèle clinique trifocal : outil d’orientation du raisonnement clinique

Afin de clarifier le jugement clinique, Arlette Marchal et Thérèse Psiuk ont mis en place le modèle trifocal. Il permet de « ranger » les informations de l’analyse de données afin de préparer en avance la mise en place de la prise en soins du patient selon les problèmes et les risques. Centrée sur la personne, cette vision de l’ensemble des problèmes et de leurs interactions oriente le raisonnement clinique et met en évidence trois domaines cliniques avec des niveaux de responsabilité différents pour l’infirmier(e). Ce modèle permet de structurer sa pensée et son raisonnement.

Le modèle trifocal est couramment utilisé dans les différents IFSI en France. L’adoption de ce modèle dans la formation en soins infirmiers et sa pratique quotidienne favorise une approche holistique et systématique de la prise en charge. Il encourage les professionnels à considérer les aspects physiques de la pathologie et les répercussions psychologiques et sociales sur le patient. Il est divisé en 3 domaines cliniques :

1) Les hypothèses de pathologies/les problèmes de santé réels ou potentiels

Mttre en évidence les signes et symptômes qui confirment le diagnostic médical ou favorisent sa recherche ainsi que la lecture et l’application de la prescription médicale. Il s’agit d’explorer et de décrire tous les éléments se rapportant à la pathologie ou au motif d’admission (épidémiologie, étiologie : les causes, histoire de la maladie et les antécédents, les mécanismes physiopathologiques, les lésions, les signes et symptômes, le degré d’urgence, les traitements et examens complémentaires…).

2) Les risques et les complications

L’infirmier(e) identifie les risques et complications liés à la pathologie, au traitement, au contexte de soin.

  • Risque :  danger éventuel, aggravation potentielle, plus ou moins prévisible, d’une situation.
  • Complication : aggravation avérée, évolution négative d’un état de santé ou d’un traitement (septicémie, allergie, troubles cognitifs, thrombose veineuse profonde).
  • Précisions : signe d’alarme précoce → signe, indice majeur qui permet de déceler et d’anticiper une détérioration. Réflexe du risque élevé : en lien avec des connaissances et des données afin de prioriser le risque majeur.

3) Les réactions humaines

L’infirmier(e) repère les réactions spécifiques de cette personne sur un plan physiologique et/ou psychologique. Dans ce domaine, l’infirmier(e) est autonome dans ses observations cliniques, dans son analyse des réactions du patient et dans sa prise de décisions : elle/il identifie les difficultés de la personne à satisfaire ses besoins fondamentaux (manger, boire, dormir, se laver, se déplacer, s’habiller, communiquer.). Elle/il évalue le niveau de dépendance, partiel ou total, dans les actes de la vie quotidienne. De plus, il faut vérifier la réaction humaine, c’est-à-dire la manière dont la personne réagit psychologiquement et physiologiquement face à un évènement (aux différentes étapes de la maladie, handicap, le vécu de l’hospitalisation) ou à une action (traitements, soin). Les réactions humaines englobent tous les effets observables chez un patient à la suite d’un traitement ou d’une intervention :

  • Réactions physiques : par exemple, modification du rythme cardiaque, réactions allergiques, fatigue.
  • Réactions psychologiques : comme la diminution de l’anxiété, la confusion, un endormissement simple.
  • Capacités : telles que des limitations physiques (difficulté à marcher) ou fonctionnelles (problèmes de déglutition).
Infographie - Le modèle clinique trifocal (A. MARCHAL et T. PSIUK)

L’infirmier(e) doit évaluer comment chaque patient vit et réagit face à sa maladie, ce qui comprend ses adaptations comportementales et émotionnelles. Ces réactions humaines dévoilent les besoins spécifiques du patient et conduisent au diagnostic infirmier. Il formalise avec un langage professionnel l’ensemble du travail de réflexion effectué par l’infirmier(e) au préalable dans la démarche clinique. Vous pourrez trouver toutes les informations concernant le diagnostic infirmier dans notre guide : Comment élaborer un diagnostic infirmier.

Cet aboutissement du raisonnement clinique infirmier annonce le jugement clinique qui est : « un processus mental exigeant de l’observation, une capacité de raisonnement et de synthèse pour en arriver à l’établissement d’un plan thérapeutique infirmier »8. Il s’agit d’un jugement clinique sur les réactions du patient face à sa santé ou à son processus de vie. Il donne un sens à la pratique infirmière dans les actes de la vie professionnelle et guide ainsi le/la soignant(e) vers la mise en place d’un projet de soins dans le cadre d’une intervention personnalisée face au problème clinique diagnostiqué. Tout ce processus permet une prise en soins personnalisée du patient.

Le raisonnement clinique permet à l’infirmier(e) de se questionner sur la situation singulière dans laquelle se trouve le patient, d’organiser son raisonnement et d’aboutir à un jugement clinique afin d’établir un projet de soins. Après l’analyse vient la planification, qui consiste à établir un plan d’action basé sur les besoins du patient. Une fois le plan établi, l’infirmier(e) prodigue les soins nécessaires. Cette étape requiert une collaboration étroite avec le patient et les autres professionnel(le)s de santé.

Infographie-raisonnement-clinique-conseils-de-formateurs-en-IFSI

Conseils de formateurs/formatrices

Loïc Martin

Trouver du sens : reliez ce que vous apprenez à des situations concrètes et à votre future pratique professionnelle pour mieux comprendre et retenir les informations.

Acquérir des connaissances théoriques approfondies : investissez du temps dans l’apprentissage des théories et des pathologies. Utilisez des fiches détaillées pour réviser régulièrement et consolider vos connaissances.

Expliciter son raisonnement sur une carte mentale : utilisez des cartes mentales pour organiser vos idées et clarifier votre raisonnement clinique. Cette technique vous aidera à visualiser les liens entre les différents concepts et à mieux structurer votre pensée.

Prendre du plaisir : trouvez des moyens de rendre votre apprentissage agréable et motivant. Que ce soit en travaillant en groupe, en utilisant des supports interactifs ou en vous récompensant pour vos progrès, l’important est de garder une attitude positive et de profiter du processus d’apprentissage.

Thérèse Psiuk

Le réflexe de questionnement est essentiel dans le raisonnement clinique ; il doit vous orienter constamment à rechercher les bonnes connaissances.

Patricia Niant

La théorie apportée par les différentes unités d’enseignements à l’IFSI vous sera indispensable lors de vos stages. C’est là que vous allez découvrir les liens entre l’observation du patient, le recueil de données, votre analyse et les connaissances acquises.

Isabelle Raffin-Bataille

Il est important d’engager tous vos sens pour une observation aussi complète que possible, afin d’affiner et d’exercer votre raisonnement. N’hésitez pas à envisager de nombreuses hypothèses pour identifier les plus pertinentes. La qualité de votre analyse dépendra de la profondeur de cette réflexion, qui doit être basée sur des connaissances solides. Il est crucial de pratiquer ce raisonnement régulièrement ! Profitez de vos stages pour vous familiariser avec cette pratique.

Conclusion

Le raisonnement clinique infirmier est un processus intellectuel complexe, mais indispensable, qui est au cœur de notre pratique infirmière en donnant du sens à nos soins. Il guide les infirmier(e)s et les étudiant(e)s en soins infirmiers dans l’évaluation des situations cliniques et la prise de décisions pour des soins de qualité. 

Il repose sur les connaissances théoriques, l’observation, l’examen clinique, les compétences relationnelles et le recueil de données. Le modèle hypothético-déductif est fréquemment utilisé pour structurer le raisonnement clinique, et il permet aux infirmier(e)s de formuler des hypothèses, de les tester et d’ajuster les soins en conséquence. La formation continue et la pratique réflexive sont encouragées pour affiner ces compétences et garantir une prise en soins optimale du patient. Continuons donc à nous efforcer d’exceller dans cette compétence ! De plus, il est important de souligner que le raisonnement clinique va se renforcer dans le cadre de la future réingénierie de la formation IDE qui sera mise en œuvre en septembre 2025.

Pour établir un raisonnement clinique pertinent, l’infirmier(e) doit se baser sur la maîtrise des connaissances et des savoirs nécessaires à la situation donnée, y compris le développement continu de ses compétences grâce à la formation continue et à la pratique réflexive. L’édition de livres et d’ouvrages spécialisés propose aux étudiant(e)s des ressources pour apprendre de manière efficace. En outre, des méthodes ludiques et interactives sont souvent intégrées dans les programmes de formation pour rendre l’apprentissage plus motivant.

Remerciements

Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à Thérèse Psiuk (ancienne directrice d’IFSI et auteure d’ouvrages sur le raisonnement clinique), Loïc MARTIN (maître de conférences en sciences infirmières et en sciences de l’éducation et de la formation), Patricia NIANT (cadre supérieure coordinatrice IFSI/IFAS) et Isabelle Raffin-Bataille (cadre de santé, formatrice en IFSI).

Chez Réussis ton IFSI, nous nous engageons à proposer des contenus d’une fiabilité inégalée. En complément de l’expertise interne de notre équipe habituelle, nous valorisons l’apport de professionnels extérieurs qualifiés qui enrichissent nos articles de perspectives nouvelles et essentielles

Sources

  1. Lescure, S. (2022). Fiche 4. Le raisonnement clinique : généralités. Dans : éd., Réussir tout le semestre 1 – IFSI (pp. 392-393). Paris: Vuibert. 
  2. Thérèse Psiuk, L’apprentissage du raisonnement clinique (2012), éd. De Boeck, réédité en 2019.
  3. Code de la santé publique « Section 1 : Actes professionnels. (Articles R4311-1 à D4311-15-2) » version en vigueur au 11 juillet 2024
  4. Hôpitaux universitaires de Genève « L’évaluation clinique infirmière » 25/01/2018
  5. Côté, S. & St-Cyr Tribble, D. (2012). Le raisonnement clinique des infirmières, analyse de concept. Recherche en soins infirmiers, 111, 13-21.
  6. Anne-Marie Lavarde, Guide méthodologique de la recherche en psychologie (2008), pages 229 à 238, éditeur : De Boeck Supérieur
  7. Loïc Martin, Le raisonnement clinique infirmier – 2e édition (2023). éditeur : Elsevier Masson
  8. Nagels, M. (2017). Le jugement clinique est un schème. Propositions conceptuelles et perspectives en formation. Recherche en soins infirmiers, 129, 6-17.